Septième principe : la vie est un escalier mais je ne vis que sur une seule marche à la fois

Nicolas Galita
9 min readJan 18, 2022

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“Nous tout ce qu’on veut, c’est être heureux
Etre heureux avant d’être vieux
On a pas le temps d’attendre d’avoir trente ans
Nous tout ce qu’on veut, c’est être heureux
Etre heureux avant d’être vieux
On prend tout ce qu’on peut prendre en attendant
Quand viendra l’an 2000 on aura 40 ans
Si on vit pas maintenant, demain il sera trop tard”

Le rapport au moment présent est le secret de l’équation globale. J’ai la chance d’avoir un handicap qui ne me laisse pas trop le choix : je suis incapable d’appréhender le futur. Ce qui me rend évidemment très mauvais à planifier des choses. Au-delà de trois ou quatre jours, je n’arrive plus à sentir concrètement la réalité du futur. Dans mon ressenti, il n’y a pas de différence entre le mois prochain et le siècle prochain. Les deux me paraissent tout autant éloignés.

J’ai appris à composer avec les inconvénients de ce handicap. Mais j’ai aussi eu la chance de profiter des avantages. En effet, je ne sais pas vraiment faire autre chose que de vivre dans le moment présent.

A — L’herbe est toujours plus verte ailleurs, chez les autres, hier et demain

Nous avons tous un pouvoir incroyable qui nous distingue de la plupart des autres animaux : nous pouvons nous projeter dans le temps et dans l’espace. Nous sommes capables de nous projeter dans le passé via nos souvenirs, dans le futur via notre anticipation et quelque part d’autre via notre imagination.

Ce pouvoir nous permet de bâtir de grandes choses et de prendre des décisions qui prennent en compte l’impact du long terme. Ce pouvoir nous permet de faire des choses qui sont impossibles aux autres animaux. Mais ce pouvoir ne nous permet pas d’être heureux.

Quand on commence à penser que l’herbe est plus verte chez les autres on est en train de faire l’erreur classique : comparer les extérieurs des autres avec notre intérieur. Sans compter que nous sommes d’ailleurs souvent de très mauvaise foi sur le sujet. Nous fermons les yeux sur les inconvénients de la situation d’autrui.

On se dit qu’on aimerait avoir la même maison que son voisin mais on n’oublie de se dire qu’on ne voudrait surtout pas se tuer au travail comme lui. On se dit qu’on voudrait voyager aux quatre coins du monde comme sa voisine mais on n’oublie de se dire que la voisine ne fume pas. Et que l’argent qu’elle ne dilapide pas dans la cigarette, elle le dépense dans les voyages en question.

De la même manière, quand on se laisse happer par la nostalgie on oublie à quel point nous avons des souvenirs totalement déformés. On oublie qu’à cette époque aussi il y avait des chansons nulles. Mais on ne se souvient que des grandes chansons. On oublie qu’à cette époque aussi il y avait des malheurs dans le monde mais qu’on était trop jeune pour le voir. On oublie toutes les choses banales pour ne retenir que l’extraordinaire. Normal : notre mémoire n’a pas la place pour tout.

La mémoire n’est pas une représentation fidèle de la réalité. Dans votre mémoire vous n’avez plus les choses banales en tête, vous n’avez que les choses qui sortaient de l’ordinaire. La plupart des gens de mon âge se rappellent exactement de ce qu’ils faisaient le jour des attentats du 11 Septembre 2001.

Parfois, ils peuvent même vous dire ce qu’ils étaient en train de manger et l’endroit exact où ils se trouvaient au moment d’apprendre la nouvelle. En revanche, demandez-leur où ils se trouvaient le 11 octobre 2001 et ils n’en auront aucune idée. Demandez-leur ce qu’ils mangeaient le 10 ou le 12 septembre 2001 et ils n’en auront aucune idée.

Il est donc facile de se dire que l’herbe est plus verte hier. Grâce au filtre de notre mémoire, le passé est un endroit merveilleux où il ne se passe que des choses extraordinaires. Positives ou négatives mais toujours significatives.

De la même manière, l’herbe est plus verte demain. On oublie à quel point nous sommes incapables de prédire correctement le futur. Non seulement nous ne savons pas prédire le futur, mais nous ne savons pas non plus prédire nos propre réactions face à une situation future.

N’avez-vous jamais réalisé un fantasme, pour être en fin de compte immensément déçu ? Le fantasme a les mêmes problèmes que la mémoire : il se focalise sur la partie extraordinaire. Il nie le banal de toute expérience humaine. Voilà pourquoi vos fantasmes ne sont jamais aussi incroyables dans la réalité. Vous rêvez d’être un artiste mondialement reconnu ?

Vous vous mettez alors à penser à tout ce que la gloire vous permettrait de faire. Sans jamais penser à tout ce qu’elle vous empêcherait de faire. Sortir dans la rue sans vous soucier d’être arrêté en permanence par des inconnus, par exemple.

Au final, ce phénomène mental de l’herbe plus verte est une stratégie de fuite de sa responsabilité. Au lieu d’assumer notre responsabilité, ici et maintenant, on cherche à s’évader mentalement.

La mémoire et l’imagination sont, in fine, les deux coupables d’un même braquage.

B) La vie est un escalier géant mais vous ne vivez que sur une seule marche à la fois

Ou, dans les termes de Tim Urban : “la vie est une image mais vous vivez dans un pixel”. Ignorer cette réalité est une des erreurs les plus classiques que nous faisons. Nous vivons une vie banale, comme tout le monde. Mais on enclenche le phénomène de l’herbe plus verte. On se dit alors “quand j’aurai ceci alors je serai heureux” ou bien “quand j’aurai fait cette chose alors je serai heureux”.

Je ne suis pas satisfait de ma vie, elle me semble fade et banale. Alors je me prends à rêver de tripler mon revenu actuel. Et je me dis que si un jour j’y arrive je serai heureux, je n’aurai plus à me préoccuper des choses qui me préoccupent actuellement. Je travaille pour y arriver. Et, un beau jour, j’y arrive. Imaginons même que je triple mon revenu du jour au lendemain. Que va-t-il se passer ? Pendant quelques semaines je vais ressentir une grande euphorie. Puis, inévitablement, l’euphorie va retomber et l’habitude aura repris ses aises. Inévitablement. Peu importe à quel point j’améliorerai mes conditions de vie, l’esprit humain est construit de sorte à s’habituer à tout. Donc je vais m’habituer à ce salaire trois fois plus grand. Une fois que la phase d’euphorie sera passée, ce sera ma nouvelle base de comparaison.

Voici donc un des plus grands secrets du présent : le présent est quasiment toujours banal. À l’exception de quelques pics de joie et de tristesse, le présent est invariablement banal. Parce que nous ne vivons pas dans l’escalier : nous vivons sur une seule marche à la fois. On vit dans un seul aujourd’hui à la fois. J’ai beau vouloir avoir une vie riche et colorée, je ne pourrai pas sortir du temps pour la regarder en entier.

Nous ne vivons pas hors du temps. Les seules personnes qui peuvent contempler leur vie de manière globale sont les personnes qui savent qu’elles vont bientôt mourir. Il est donc insensé de bâtir sa stratégie de bonheur sur la contemplation de l’ensemble de l’image d’une vie. Nous vivons dans un seul aujourd’hui à la fois.

“Une bonne vie c’est plein de bonnes journées”

Par conséquent, ll faut être vigilant à vivre un maximum de bonnes journées. La stratégie consistant à vivre des mauvaises journées dans l’espoir de créer une bonne vie est suicidaire.

“Car, même si un millier des aujourd’hui de Jack commenceraient, pour un observateur extérieur, à ressembler à une belle image, Jack continue à passer chaque moment de sa réalité effective dans un aujourd’hui banal comme un autre. L’erreur de Jack est de mépriser les mercredis banals pour se concentrer entièrement sur l’ensemble du tableau de sa vie alors qu’en réalité ce sont les mercredis banals qui constitue l’expérience de sa vie effective.”

Je ne suis pas en train de vous dire que le raisonnement long-terme est mauvais. Je suis en train de vous dire que remettre la sensation du bonheur entre les mains du long-terme est mauvais. Même si vous prenez un chemin difficile, il faut apprécier chaque étape de ce chemin. Les sportifs de haut niveau, s’infligent des douleurs à l’entraînement mais ils apprécient quand même chaque jour de l’entraînement. Parce qu’ils savent pourquoi ils le font. Sinon à quoi bon ? À quoi bon vivre 30 mauvaises journées pour uniquement 1 journée d’euphorie pendant l’épreuve sportive ?

Je répète : nous vivons dans une seule journée à la fois. Nous ne pouvons pas nous extirper du temps. À chaque fois que vous dites quelque chose comme “je serai heureux quand j’aurai ceci”, vous sciez votre propre branche. Une bonne vie c’est plein de bonnes journées. Une bonne vie c’est quand vous obtenez le banal que vous aimez. Une bonne vie c’est quand vous remportez chaque bataille. La stratégie consistant à vouloir perdre des batailles dans l’espoir de gagner la guerre grâce à un plan tordu, est une folie.

Exemple concret : se dire que vous serez heureux quand vous aurez publié un livre est une folie. Surtout si en plus vous passez votre temps à vous plaindre que vous n’avez pas le temps d’écrire mais que quand vous aurez économisé assez d’argent vous pourrez prendre le temps d’écrire. Le tout sans jamais rien faire. Je connais des experts en la matière. Ils sont prétendument en train d’écrire un livre depuis plus de dix ans. Ou alors ils vont un jour partager leur travail musical.

Mais pour l’instant ils ne peuvent pas travailler sur leur musique à cause des horaires que leur impose leur patron. Ou alors ils ne peuvent pas tant qu’ils n’auront pas repris quelques cours de chant. Mais un jour ils le feront, ils vous le certifient. J’en connais d’autres qui, un jour, voyageront. Mais pas maintenant. Car maintenant ils ont un travail bien payé qui ne leur permet pas de s’absenter, même un weekend.

Déjà, ce type de folie est d’une arrogance incroyable : on se comporte comme si le monde se conformait à nos plans, comme si le monde allait nous attendre. Ensuite, on oublie à dessein qu’on peut mourir demain.

La bonne démarche consiste à apprécier chaque étape, peu importe la destination. À comprendre au plus profond de soi que le voyage compte plus que la destination. Par exemple, je prends du plaisir à écrire les lignes de ce livre en ce moment même. Je ne sais pas si quelqu’un les lira un jour, je ne sais pas si je serai vivant demain pour continuer à écrire, je ne sais pas si un jour je diffuserai ce livre, je ne sais pas si un jour il rencontrera une audience. Je ne me dis pas “je serai heureux quand j’aurai publié ce livre et que des milliers de gens l’auront acheté”.

Bien sûr que je préfère ce scénario à celui où j’abandonne au milieu. Bien sûr que je préfère que des milliers de gens le lisent plutôt que personne. Mais je ne remets pas mon bonheur entre les mains de ce futur hypothétique. Je suis content de l’écrire, tout simplement. Si je meurs demain, j’aurais quand même passé trois semaines incroyables à écrire ce livre. Si je meurs demain, j’aurais quand même passé une vingtaine de bonnes journées. Voici la seule chose qui compte.

Une fois que vous comprenez qu’il faut optimiser le voyage et non pas la destination, vous comprenez également qu’il faut faire un peu de ce que vous aimez chaque jour. Vous devez faire des plans où vous appréciez chaque étape qui vous mène à la destination rêvée. Car vous ne savez pas si vous arriverez, un jour, à la destination. La seule chose que vous savez c’est qu’aujourd’hui vous pouvez faire une partie du chemin. Donc autant que chaque partie du chemin soit bonne.

C — Etre dans le moment présent est une délivrance

Nous avons de la chance : notre esprit est cohérent. En effet, puisque nous sommes contraints de vivre chaque moment un par un, notre cerveau cache en lui une récompense quand on obéit à ce principe. Nous sommes donc spontanément plus heureux à chaque fois que l’on reste dans le moment présent. À l’inverse, quand on s’évade mentalement on diminue son niveau de bonheur. Contre-intuitif, je sais. Le chercheur Matt Killingsworth a mené l’expérience à grande échelle pour découvrir le lien entre niveau de bonheur et évasion mentale.

Surprise : il a découvert que …

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