Arrêtez de nier que les races existent

“Je ne vois pas les couleurs” est une hypocrisie. D’ailleurs la race c’est pas la couleur. Les albinos ont une couleur de peau blanche mais sont bien des Noirs.

Nicolas Galita
9 min readApr 5, 2021

“Je ne vois pas les couleurs. Et puis, de toutes façons, les races n’existent pas”.

Voilà un des plus gros clichés quand on parle de racisme. Les gens répètent machinalement ce qu’ils ont appris à l’école de la République.

Source : https://twitter.com/Leaaa_who/status/1271910590907285507?s=20

En même temps, on voit mal l’école de la République expliquer qu’elle est encore raciste.

Il y a deux cas de figure : la République est raciste et la République n’est pas raciste. Mais il n’y a qu’une seule position dicible. Dans les deux cas, la République dirait “on est pas raciste”.

Penses-y, deux secondes…

C’est un des soucis d’apprendre l’histoire sans esprit critique. Je me rappelle quand j’étais au lycée je me disais “waouh, mais comment nos ancêtres ont pu être autant dans l’erreur”. Mais à aucun moment l’école ne m’a montré quelles pourraient être les erreurs contemporaines.

Par exemple, on nous montre la propagande hors de son contexte. Ça nous paraît ridicule. Mais quand on est nous-mêmes soumis à la propagande, on ne réagit pas mieux. Pour une raison simple : nous ne sommes pas de meilleurs humains que ceux qui nous ont précédé. Nous avons simplement davantage de connaissances et d’expérience.

Mais revenons au sujet de la race.

Les députés ont voulu enlever le mot race de la Constitution

On pourrait se dire “chouette, il faut enlever le mot s’il est stigmatisant”. Mais ce n’est pas du tout le cas. Il était dans cette phrase : la République assure l’égalité devant la loi de tous les citoyens sans distinction d’origine, de race ou de religion.

À ma grande surprise, c’est avec un député de droite que je suis d’accord.

“Certains députés, comme Philippe Gosselin (LR), ont par exemple pointé le risque qu’au-delà du symbole, cette suppression crée un effet pervers et amoindrisse les outils juridiques de lutte contre le racisme. Ne faudrait-il pas mieux remplacer le terme «race» par «prétendue race» ou «couleur de peau» ? Les centristes de l’UDI proposaient, eux, de mentionner «l’unicité de l’espèce humaine».”

Voilà le premier problème. Mais il y a pire : la race existe. Enlever sa mention est une manoeuvre dangereuse. Un déni de réalité qui profite au racisme.

Il n’existe pas de race biologique

Plus personne ne pense qu’il existe de races humaines biologiques. Certes. Mais qui peut nier qu’il existe des races sociales ?

Je suis Noir. Et, en effet, ça ne correspond à aucune réalité ontologique. Les Noirs n’existent pas, en soi. Il y a des Noirs parce qu’il y a des gens qui les désignent ainsi.

Il n’y a pas de langue Noire, de religion Noire, de pays Noir. Il n’y avait pas de culture Noire non plus avant l’impact du racisme qui en a généré une par réaction, notamment via le hip-hop.

C’est la différence avec, par exemple un Juif. Un Juif, s’il le souhaite, peut se définir en tant que tel. Il peut se référer à un peuple, une religion, une langue, une culture.

Attention : il peut aussi choisir de ne pas le faire. Chaque personne se définit comme elle le veut.

Alors qu’un Noir se définit nécessairement dans le regard des autres. Quand j’étais jeune, je ne savais pas que j’étais Noir. Je ne me sentais pas particulièrement solidaire des autres Noirs. J’étais juste français. J’ai commencé à développer une identité noire en vivant le racisme. C’est cette expérience du racisme qui nous réunit. C’est la seule chose que l’on partage.

Il n’y a pas du racisme parce qu’il y a des Noirs. Il y a des Noirs parce qu’il y a du racisme.

En effet, la race Noire n’a aucun fondement autre que le racisme. Mais ça suffit à la faire exister.

Qui est vraiment incapable de distinguer les races ?

Pour un truc qui existe pas, c’est fou le nombre de gens qui sont tout à fait capables de dire qu’une personne est Noire ou Arabe.

Comment font-ils ?

Ne parlons même pas de ces gens qui prétendent ne pas voir les couleurs mais qui insistent pour me demander de quelle origine je suis vraiment quand je leur réponds que je suis né à Reims.

La race ce n’est pas juste la couleur de peau

Photo by History in HD on Unsplash

Profitons, du même coup, pour affirmer que la race n’est pas la couleur de peau.

Sinon, comment expliquer que Barack Obama soit vu comme Noir sans le moindre débat ? Alors qu’il a une mère Blanche et un père Noir.

On devrait le voir comme étant pile au milieu. D’ailleurs, si on prend Photoshop et qu’on utilise l’outil de la pipette sur une photo d’Obama, on obtient bien une couleur à mi-chemin entre le blanc et le noir.

Si c’était une question de couleur alors on dirait qu’Obama est marron clair.

Pourtant, personne ne débat quand on dit qu’Obama est le premier président Noir des États-Unis. Personne ne s’exclame “mais les races n’existent pas”.

Alors que c’est bel et bien une affirmation raciale. En effet, Obama est Noir selon la définition du code Noir, le document qui a défini les races pour savoir qui était esclave ou pas. Le code Noir, précise qu’une seule goutte de sang noir suffit à souiller le sang blanc.

Voilà pourquoi Obama est vu comme un Noir. Parce que nous avons internalisé cette définition. Obama n’est pas dit Noir à cause de sa couleur (sinon on dirait qu’il est métis), il est dit Noir parce qu’on reconnaît ce que ça veut dire, racialement.

D’ailleurs, quand Tiger Woods a affirmé qu’il n’était pas Noir, il a subi une vague de critiques et de moqueries.

Quand, plus jeune, je disais que je n’étais pas Noir, on me regardait bizarrement. Pourtant, si c’était vraiment une question de couleur de peau on dirait en effet que ma peau n’est pas noire mais bien marron claire, entre les deux.

Ce qui est logique puisqu’une partie de ma famille ancestrale est Blanche.

D’ailleurs, quand on voit un albinos, on ne dit pas qu’il est Blanc. Les mouvements racistes ne disent pas “il faut que les Noirs retournent dans leur pays… sauf les albinos… eux ça va, leur peau est blanche”.

Les albinos sont donc des Noirs plus clairs que des Blancs espagnols. Pourtant on ne dit pas qu’ils sont Blancs. Parce que “Noir” ne désigne pas une couleur de peau mais bien une race.

Depuis quand sommes-nous incapables d’avoir un mot avec plusieurs définitions ?

Photo by Edurne Chopeitia on Unsplash

On voit donc bien que la race est bien au centre de notre définition du mot Noir. Pas la race biologique, certes. Mais depuis quand sommes-nous incapables de cumuler des définitions ? Première nouveauté !

Le verbe “louer” veut à la fois dire “être le propriétaire qui prête” et “être le locataire qui emprunte”. Ce mot a littéralement deux définitions contraires. Personne ne s’en émeut.

Quand on dit que quelqu’un est un pestiféré, personne ne vient dire “bah non, cette personne n’a pas la peste, la peste n’existe plus en Europe”. Ce serait ridicule, on sait que le mot pestiféré a plusieurs définitions.

Quand on dit “je vais manger un grec”, personne n’appelle la police pour cannibalisme. On sait que grec peut désigner une personne de nationalité grecque, mais aussi un sandwich.

Quand on dit “je suis de mauvaise humeur”, personne ne rétorque “non, les humeurs n’existent pas. La théorie des quatre humeurs a été réfuté par la médecine”. On comprend très bien qu’on utilise cette expression pour ce qu’elle désigne socialement, même si la cause est invalidée biologiquement.

La loi n’existe pas non plus

Rappelons au passage que c’est ironique que la loi essaie d’enlever un mot car il ne reflète pas une réalité biologique. Car, au final, la loi non plus n’a pas de réalité concrète. La loi existe parce qu’on se met d’accord pour dire qu’elle existe. C’est une fiction sociale pour organiser la société, tout comme l’argent. La loi est une construction sociale au même titre que la race.

La France elle-même, n’est pas une réalité géographique…

S’il n’y a pas de race, le racisme s’opère sur… quoi au juste ?

Mais surtout… on peut se demander sur quoi le racisme peut-il, diable, s’opérer s’il n’y a pas de race ? On en arrive à des renversements incroyables où des personnes pensent que dire le mot race revient à être raciste.

Bien sûr, la plupart de ces personnes sont Blanches. Car, un Noir finit souvent par subir le racisme et comprendre l’existence sociale de la race. Il n’a pas le choix. Je n’ai pas eu le choix.

Quand nos parents nous disent qu’on doit en faire deux fois plus que les autres, mais que les parents Blancs disent à leur enfant de ne pas voir les couleurs… on voit la différence.

Prétendre que les races n’existent pas est un privilège Blanc. C’est d’ailleurs la meilleure ruse pour les faire continuer à exister.

On n’a plus besoin de lutter puisque le combat est terminé. Les races ont été abolies.

Car, pas de méprise, je lutte pour une abolition des races. Mon but est effectivement de voir un monde où les races n’existeront pas. Comme Martin Luther King. Mais on oublie que Martin Luther King ne dit pas “les races n’existent pas”. Il dit “je RÊVE d’un jour où elles n’existeront pas”. C’est bien parce qu’elles existent qu’il parle d’un rêve où elles n’existent pas.

Tant qu’elles existeront, nier leur existence vous place du côté du statu quo.

Sans races, comment expliquer les hiérarchies à l’oeuvre dans la société ?

Si les races n’existent pas, comment expliquer les conséquences du racisme ? Comment expliquer que les plongeurs dans les restaurants soient presque tous Noirs ? Alors que les Noirs sont peu en France. Comment expliquer que les livreurs Deliveroo, les chauffeurs Uber, les personnes qui font le ménage soit Noires et Arabes ?

C’est une passion commune ? Ils se sont passés le mot ?

Non. Ça s’appelle le racisme. On leur a attribué une race sociale à la naissance et elle a des conséquences sur leur vie.

L’hypocrisie ultime : le genre

Pour finir, soulignons une hypocrisie monstrueuse. Les mêmes qui jurent que la race n’existe pas, utilisent la même logique pour dire que le genre n’existe pas. Seul le sexe biologique peut exister. Les petites filles aiment donc naturellement le rose et les tâches ménagères.

La biologie a bon dos. Mais c’est étonnant de voir à quel point certains s’y attachent. Alors qu’on sait que nous sommes des êtres sociaux.

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Mes sources

Les députés votent la suppression du mot «race» de la Constitution https://www.liberation.fr/politiques/2018/06/27/les-deputes-votent-la-suppression-du-mot-race-de-la-constitution_1662341/

Why Im No Longer Talking to White People About Race — Reni Eddo-Lodge

C’est dans ce livre que j’ai eu le dernier déclic qui m’a permis de répondre à cette hypocrisie.

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Nicolas Galita

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